Vingt ans après la qualification du Togo pour la Coupe du Monde 2006, le Colonel Rock Balakiyèm Gnassingbé, président de la Fédération Togolaise de Football de 1998 à 2007, revient sur la qualification historique du Togo à la Coupe du Monde 2006, cette épopée mémorable, les années fastes du football togolais et les raisons du déclin actuel des Éperviers.

« Au départ, je n’y croyais pas », confie le Colonel Rock Balakiyèm Gnassingbé. « C’était au retour du match à Kampala. Le Père de la Nation nous avait conviés à un dîner après notre victoire 3 à 0 en Ouganda. Très content, il nous a promis la Coupe du Monde. J’avoue que je n’y croyais pas, mais, chemin faisant, je me suis rendu compte qu’il était très sérieux dans ce qu’il disait. »

Le dirigeant se souvient de la scène. « Il y avait le Général Gnofam et tous les cadres. Le Père de la Nation répétait : Je veux la Coupe du Monde. Je pensais qu’il plaisantait, car mon objectif était simplement de décrocher une étoile. Mais il insistait… Peut-être avait-il vu venir quelque chose. »

Des victoires jusqu’au rêve mondial

Après le décès du chef de l’État, les victoires s’enchaînent. « Je me disais à chaque fois : à force de gagner, on va aller où ? Et feu Messan Atolou, journaliste et ami, me répondait : Colonel, on ira à la Coupe du Monde. Et c’est ce qui s’est produit », raconte-t-il.

Le dernier match, face au Congo-Brazzaville au stade Massamba-Débat, reste gravé dans les mémoires. « Nous avons gagné 3 buts à 2. Ce jour-là, les joueurs étaient euphoriques, très émus. J’étais content mais calme. Atolou m’a demandé pourquoi j’étais si tranquille. Je lui ai répondu : C’est l’émotion. »

Ce soir-là, le Togo entrait dans l’histoire du football africain. « Nous avions une génération exceptionnelle : Aziawonou Kaka, Shérif Touré, Shéyi Emmanuel Adébayor… Tous ont apporté quelque chose. Travailler avec eux me procurait un plaisir immense. »

Une époque de discipline et de ferveur

Sous l’ère du Colonel, la discipline était de rigueur. « Les joueurs savaient qui j’étais et ce que j’attendais. Le terrain était protégé, l’ambiance galvanisée. Quand le Togo jouait, la ville entière vibrait. Nous faisions des caravanes jusqu’à Atakpamé. C’était un cri de guerre : Le Togo joue ! »

L’atmosphère était telle que, souvent, le stade de Kégué se remplissait avant même 14 heures. « J’avais demandé à toutes les confessions religieuses de prier pour les Éperviers. Il y avait une vraie communion nationale. »

« Aujourd’hui, je suis peiné »

Vingt ans après, le Colonel ne cache pas son amertume. « Quand on voyage et qu’on dit qu’on est Togolais, les gens se souviennent toujours de la Coupe du Monde 2006. Mais depuis, nous avons traversé des zones de turbulence. Aujourd’hui, le Togo est oublié sur la scène du football, et ce n’est pas normal. »

Une scène marquante

« Lors de la visite du président de la FIFA, Gianni Infantino, il a demandé : Qui était le président qui vous a amenés à la Coupe du Monde ? Cela m’a fait mal. »

Pour lui, la situation actuelle est d’autant plus frustrante qu’à l’époque, malgré la CAN à 16 équipes, le Togo se qualifiait régulièrement : 1998, 2000, 2002 et 2006. « Aujourd’hui, la CAN est à 24 nations, et nous n’y sommes plus. Nous devrions être comme le Burkina Faso ou le Bénin, qui étaient loin derrière nous. »

Le secret d’une réussite : passion et travail

« Le football, c’est une question de travail et de passion », insiste-t-il. Citant le philosophe Hegel, il ajoute, « Rien de grand ne se fait sans passion. »

Cette passion, il la vivait pleinement. « Quand le Togo jouait à Kégué, toute la ville était en ébullition. Les policiers filtraient les entrées. J’étais prêt à tout pour procurer de la joie aux Togolais. Chaque détail comptait. »

Il se remémore aussi un épisode stratégique resté célèbre, le match décisif à Dakar face au Sénégal.

« Eux, ils avaient mobilisé plus d’une centaine de marabouts ! Nous, nous avons monté une fausse équipe logée à l’hôtel Indépendance. Les Sénégalais, pensant que c’était notre vraie sélection, se sont relâchés. Pendant ce temps, la vraie équipe arrivait discrètement dans un autre hôtel. Résultat : 2-2, et on a failli les battre. »

« Il faut reconstruire à la base »

Le Colonel regrette que le projet Goal 2, prévu pour doter le Togo d’une académie de formation, n’ait jamais vu le jour.

« Aujourd’hui, nous manquons de joueurs, parce que nous n’avons pas travaillé à la base. Il faut former les jeunes : U17, U20, et organiser des compétitions régulières. La compétition forge le joueur. »

À son époque, rappelle-t-il, « il n’y avait pas que la Coupe Bella Bellow. Il y avait aussi la Coupe Maman Ndanida, la Coupe Kao Marius, la Coupe du Togo, la Coupe de la Fédération, et même celle des filles. Tout cela entretenait l’émulation. »

Un message d’espoir

Malgré tout, le Colonel Rock Balakiyèm Gnassingbé garde foi en l’avenir du football togolais.

« Il faut des centres de formation dans toutes les régions. Si on s’y met sérieusement, dans cinq ans, on peut relever la tête. Le Togo regorge de bons joueurs : il suffit de les encadrer, de les faire jouer, et les talents émergeront. »

« Il n’est jamais trop tard pour bien faire. Il faut travailler, sérieusement, à la base. Seul le travail paye. »

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