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Dans cet entretien exclusif, l’artiste Marielle Plaisir dévoile son art, ses inspirations et son engagement envers la société.
- Qui est Marielle Plaisir ?
Marielle Plaisir est une artiste multimédia caribéenne qui vit et travaille aux États-Unis.
- Qu’est-ce qu’un artiste multimédia ?
J’utilise divers médiums pour exprimer quelque chose. Initialement peintre, j’ai ensuite développé un ensemble de travaux qui intègrent également le bronze, la porcelaine, la vidéo, le cinéma, la performance et plus récemment, la réalité virtuelle. Je choisis l’outil le plus pertinent pour chaque message que je souhaite développer.
- Pourriez-vous nous en dire plus sur la performance ?
La performance est une pratique particulière qui a émergé dans mon travail en 2016-2017, lors de mon arrivée aux États-Unis. C’est une manière d’utiliser son corps pour exprimer une idée. Ce n’était pas une pratique courante pour moi, c’est venu naturellement, et j’utilise de nouveaux matériaux à chaque fois, par nécessité. Je préparais une exposition dans un musée américain, et en discutant avec l’équipe, j’ai ressenti le besoin de réaliser une performance. C’est ainsi que j’ai emprunté cette voie.
- D’où tirez-vous vos inspirations ?
Je travaille depuis 20 ans sur les notions de pouvoir, de domination, de race et d’identité. C’est ma principale thématique. Mon atelier est comme un grand laboratoire de recherche où j’accumule des données à savoir les documentaires, livres, images… que j’utilise pour créer et parler de la domination sociale. Venant de Guadeloupe et vivant aux portes des États-Unis, tout en étant française, je suis confrontée à une multiplicité d’identités qui reflète l’histoire d’un peuple, marquée par la domination et le racisme. J’utilise la performance pour dénoncer les inégalités qui persistent de nos jours.
- La société comprend-elle ce que vous dénoncez ?
Je pense que c’est compris. La performance engage un public à comprendre. J’incite les gens à voir le monde, à l’entendre, à l’écouter et à le dire. Si on ne dit pas le monde, on est complice de ce qui se passe. Je ne veux pas être complice. Je me dis que si chacun fait sa petite part, on peut avoir une voix. Je ne crois pas au pouvoir, je ne crois pas à la politique. J’ai un rôle à faire et je dois le faire. Le rôle de l’artiste, pour moi, c’est de dire le monde, c’est un engagement. Mon travail, je le fais avec beaucoup d’humour, beaucoup de beauté, il est toujours porté vers le poétique et la beauté, car on vit dans un monde magnifique.
- Pourquoi une tenue coloniale lors de vos prestations ?
Mon travail fonctionne à double tranchant, c’est-à-dire que je dénonce le pouvoir, sa domination. Et la robe coloniale, c’est le pouvoir, mais en même temps, je l’endosse. Le pouvoir, pour moi, n’est pas légitime, on le prend. Voyons tous ces cas sociaux, par exemple l’histoire de la Caraïbe, de l’Afrique avec l’esclavage, etc. On a une population, la suprématie blanche, qui a endossé le pouvoir et qui dit : « OK, je domine ». Ce n’est pas du tout légitime. Le fait de porter cette belle robe coloniale, c’est aussi, à contre-sens, la beauté du peuple colonisé. J’essaie d’être de ce côté et de dénoncer l’autre côté, mais je porte en même temps les marques de l’autre côté.
- Dans quelques jours, il est annoncé que vous allez présenté un spectacle à Cotonou au Bénin, c’est dans quel cadre ?
Toujours dans le cadre de cette performance appelée « ACTA NON VERBA », qui veut dire agir au lieu de parler. Je pense qu’on peut parler et rien ne se passera, mais si on agit, ça pourrait changer les choses. De nos jours, on voit un peu partout dans le monde un retrait de la démocratie, c’est comme s’il y avait la dictature qui venait à petits pas, c’est lent, mais on le voit venir. Cette domination sociale, il faut commencer par la dénoncer. La performance dit simplement : « Regardez le monde, entendez le monde et dites le monde ».
- Votre mot de la fin
Mon père est de la Guadeloupe, on a une racine béninoise qui est loin, mais qui est là, et c’est un plaisir d’être sur la terre de mes aïeux.
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Richard MAGLO