Par Michel Ayitou, Jurisconsulte

Une lettre d’un Maire devenue virale sur les réseaux m’a été envoyée par mon oncle depuis le village en vue de recueillir mon point de vue. Vous comprenez que dans mon village, les parents sont toujours informés et pour s’assurer, ils vont à l’information. Pas laquelle ; celle qui vient d’un sachant.

Lisez pour comprendre

Répondant donc aux inquiétudes de mon oncle, il faut noter que la lettre, à première vue, pourrait prêter à sourire si elle ne soulevait pas une question grave : un maire d’une commune peut-il, au nom de ses prérogatives locales, interdire à un huissier de justice d’exécuter une ordonnance judiciaire visant l’inscription sur des immeubles litigieux ? Puisque l’huissier procède aux inscriptions que sur l’existence et la base d’une décision de justice. Autrement dit, aucun huissier ne peut se permettre d’agir sans acte de justice.
Histoire, raconte …

En effet, la scène se déroule dans une petite commune. Mandaté par une ordonnance dûment rendue par une juridiction compétente, un huissier aurait procédé à une formalité juridique indispensable : l’inscription sur des biens immobiliers faisant l’objet d’un litige. Généralement, il s’agit d’une mesure conservatoire à l’exception des cas de déguerpir.

C’est alors que l’édile local, invoquant son rôle de garant de l’ordre communal, tente de donner un cours de droit à l’huissier, lui rappelant l’existence d’une délibération communale.

Même naïve, on peut se poser la question de savoir si une délibération communale peut elle supprimer les effets ou empêcher l’exécution d’une décision de justice.

La question étant posée, alors, que dit le droit de mon village.

Le droit, pourtant, est sans équivoque.

Selon le principe fondamental de la séparation des pouvoirs, nul, pas même un maire, ne peut faire obstacle à l’exécution d’une décision de justice. Même le président du Conseil ne peut pas. S’il le fait, il sera poursuivi pour entrave à la procédure judiciaire. Toutefois, le président peut par decret accorder une grâce présidentielle ou amnistier des personnes condamnées. Il s’agit d’une prérogatives exceptionnelle.

D’ailleurs, la Constitution togolaise affirme la suprématie des décisions judiciaires, et le Code de procédure civile précise qu’un huissier de justice, porteur d’un titre exécutoire, agit « au nom de la loi » et sous le contrôle du juge.

Les ordonnances de justice possèdent ce que l’on appelle la force exécutoire. Elles ne se discutent pas sur le terrain administratif ; elles s’appliquent. Empêcher son exécution revient à s’opposer directement à l’autorité judiciaire, ce qui peut relever de l’entrave à l’exécution des décisions de justice, une infraction pénalement réprimée par le Code pénal.

Le rôle de l’huissier, mal compris mais essentiel.

Loin d’être un simple « messager », l’huissier est un acteur clé de l’État de droit. Il garantit que les décisions judiciaires ne restent pas lettres mortes. Dans le cas présent, son intervention n’est pas une option mais une obligation légale, qui peut, si nécessaire, être appuyée par la force publique. Et contrairement à une idée reçue, ce recours ne dépend pas du bon vouloir du maire.

Entre pouvoir local et État de droit : un équilibre fragile.

Le maire, représentant de l’exécutif local, dispose certes de larges attributions pour maintenir l’ordre public. Mais ces pouvoirs s’arrêtent là où commence l’autorité du juge. La confusion des genres administration contre justice crée non seulement un blocage juridique, mais mine aussi la confiance des citoyens dans les institutions.

Une leçon à retenir

Au-delà de la querelle locale, cette affaire rappelle que l’État de droit repose sur un respect mutuel des prérogatives, notamment l’administration applique la loi, la justice la fait respecter.

Dès lors, lorsque l’un s’arroge le droit de contester l’autre, c’est l’équilibre démocratique qui vacille. Et c’est le citoyen, au bout du compte, qui en paie le prix.

Par Michel Ayitou, Jurisconsulte

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